Plusieurs associations
féministes et/ou lesbiennes ainsi que des partis politiques de gauche
s’opposent au mot d’ordre de la dix-neuvième Marche des Fiertés de Lyon. En
cause : des divergences sur les questions épineuses de la prostitution et
de la gestation pour autrui.
«Droit des trans,
PMA, IVG, GPA, prostitution : nos corps, nos choix !». En choisissant un tel
mot d’ordre pour la 19e Marche des Fiertés LGBT de Lyon (qui se déroulera
samedi 14 juin), les membres de la Lesbian and Gay Pride (LGP) de Lyon se
doutaient qu’ils ne feraient pas que des heureux.
Car si la défense
des droits des personnes trans et de l’avortement ou la demande d’ouverture de
la procréation médicalement assistée (PMA) aux femmes célibataires ou
lesbiennes font consensus parmi les associations LGBT et féministes, il n’en va
pas de même dès que l’on aborde les thèmes beaucoup plus clivants de la
prostitution et de la gestation pour autrui (GPA).
Dans le livret
qu’elle a édité pour la Quinzaine des Cultures LGBT, la LGP qualifie
d’«inapplicable et dangereuse» la proposition de loi « renforçant la lutte
contre le système prostitutionnel » et demande l’ouverture d’un débat sur la
gestation pour autrui.
Deux prises de
position qui ont suscité la colère de la section rhodanienne d’Osez le
féminisme ! (OLF69), l’association féministe proche du Parti socialiste, qui
soutient la proposition de loi sur la prostitution et qui voit dans la GPA «
une instrumentalisation des femmes concernées, réduites à leurs organes
reproductifs ». Le 3 juin, elle a donc publié un communiqué pour se
désolidariser de la Marche du 14 juin.
Pas de GPA, pas
de prostitution… Mais allez à la Marche
Parmi les
signataires, on trouve à la fois des associations féministes abolitionnistes,
des collectifs lesbiens (les Toulousaines de Bagdam, les Marseillaises du
Centre Lilith, les Strasbourgeoises de La Lune, CQFD Fierté lesbienne ou la
Coordination lesbienne en France – qui a récemment claqué la porte de
l’Inter-LGBT pour les mêmes raisons) et des mouvements politiques à la gauche
du PS (le Parti de gauche, le Mouvement des Jeunes Communistes de France,
l’Union des Étudiants Communistes).
Le lendemain, c’est
au tour du Parti communiste français (qui n’est pas en tant que tel signataire
de l’appel d’OLF) de s’exprimer par la voix de sa secrétaire fédérale dans le
Rhône, Danielle Lebail, qui explique que :
« Les communistes du Rhône refusent cette
année de partager le mot d’ordre de la Lesbian & Gay Pride de Lyon » et
juge « dangereux de faire l’amalgame entre les luttes contres les homophobies
et la GPA et la prostitution, qui entrent dans le système marchand capitaliste
».
Enfin, le Parti
socialiste s’est lui aussi désolidarisé de ce mot d’ordre. Dans un courrier
(qu’il a rendu public) adressé à Edwige Marty (la présidente de la LGP), David
Kimelfeld, premier fédéral du Rhône, regrette à la fois le mot d’ordre («dont
la multiplicité de revendications ne facilite pas l’adhésion du plus grand
nombre») et le ton employé dans le livret de la Quinzaine des Cultures LGBT,
qui juge avec sévérité les « reniements » du gouvernement sur la PMA ou les
droits des trans (deux thématiques sur lesquelles François Hollande avait pris
des engagements durant la campagne présidentielle qui n’ont pas été tenus).
Le Parti
communiste et le Parti socialiste précisent néanmoins qu’en dépit de ces
désaccords, ils appellent leurs militants et sympathisants à se joindre à la
Marche, « car ils restent solidaires de cette initiative et de sa philosophie
initiale », selon les mots de David Kimelfeld.
Des
abolitionnistes traditionnels
En soi, le
communiqué de presse d’Osez le féminisme ! n’a rien de surprenant.
L’association défend depuis sa création en 2009 l’ »abolition » de la
prostitution et s’oppose à la légalisation de la GPA, « deux des pires produits
des systèmes patriarcal et capitaliste ».
En novembre
dernier, elle avait déjà quitté le conseil d’administration de la Lesbian and
Gay Pride de Lyon lorsque cette dernière avait lancé une campagne pour dénoncer
la proposition de loi visant à pénaliser les clients des travailleurs du sexe.
Rien d’étonnant
non plus dans la réaction des différentes composantes du Front de gauche, où,
en matière de prostitution, l’abolitionnisme est la règle, tant au Parti
communiste français qu’au Parti de gauche. Les deux-tiers des députés du groupe
Gauche démocrate et républicaine (qui rassemble les élus du Front de gauche et
d’autres partis de gauche ultra-marins) ont ainsi voté en faveur de la
proposition de loi visant à pénaliser les clients du travailleurs du sexe le 4
décembre dernier (deux se sont abstenus, aucun n’a voté contre).
Le soutien
collant de la Manif pour tous
Mais toutes ces
contestations ne pouvaient que réjouir La Manif pour tous (LMPT), qui a décidé
de s’en mêler en venant ajouter son grain de sel (et jeter incidemment de
l’huile sur le feu) : le collectif En Marche Pour l’Enfance, l’une des
principales composantes lyonnaises de LMPT, a publié lui aussi le 4 juin un
communiqué de presse qualifiant sans surprise la Marche des Fiertés de
«mascarade» «menée par une minorité ultra radicale qui visiblement ne
représente plus qu’elle-même».
« Nous pouvons
tous être unis pour nous opposer aux discriminations liées à l’orientation
sexuelle », écrit ainsi le collectif qui, récemment encore, voyait pourtant
dans la lutte contre l’homophobie un faux-nez de « l’idéologie du gender« .
« Mais la
promotion des mères porteuses relève d’une toute autre logique : celle du
trafic de filiation et celle de l’instrumentalisation du corps de la femme »,
poursuit-il de façon beaucoup plus attendue.
Avant d’apporter
à OLF69 un soutien dont l’association se serait probablement bien passée :
« Il doit falloir du courage et de la
liberté pour aller ainsi à contre-courant ! […] Si beaucoup de points semblent
nous opposer, nous nous rejoignons sur le rejet de la marchandisation du corps
humain sur lequel hétéro, gay ou lesb [sic] peuvent se retrouver ».
Les mots d’ordre
à Lyon et leurs remous
Ce n’est pas la
première fois qu’un mot d’ordre de la Marche des Fiertés LGBT déclenche une
controverse et des débats houleux. Celui choisi en 2009 («respectons la
transidentité, refusons la transphobie !») avait suscité la colère et
l’incompréhension d’une partie des commerçants LGBT lyonnais, qui ne le
jugeaient pas assez fédérateur.
Cela n’avait pas
empêché la Marche des Fiertés LGBT de rassembler autant de personnes que
d’habitude dans les rues de Lyon. Il semble donc peu probable que cette
polémique ait beaucoup d’impact sur la fréquentation de la Marche cette année.